
Big Fish & Begonia : la spiritualité amoureuse
La 7e édition du Festival du Cinéma Chinois en France (FCCF) nous a permis de découvrir le cinéma d'animation chinois, trop peu représenté à l'étranger. Big Fish & Begonia est une véritable belle surprise et le cinéma d'animation chinois trouve ses lettres de noblesse avec cette œuvre envoûtante.
Le film met en scène Chun, être céleste qui s'occupe des bégonias. À ses 16 ans, elle est envoyée dans le monde des humains sous la forme d'un dauphin rouge afin d'accomplir son rituel de passage à l'âge adulte. Lors de cette expérience, Kun, un humain, lui sauve la vie, mais il perd alors la sienne. Avec l'aide de son ami Qiu, Chun essaie de ranimer l'esprit de Kun.
Big Fish & Begonia marque l’avènement de l’animation chinoise contemporaine dans le cinéma mondial. Le film a été un projet de longue haleine pour ses deux réalisateurs Liang Xuan et Zhang Chun qui ont mis 12 ans à le mettre en œuvre. Au départ court-métrage, Big Fish & Begonia est devenu un long. Le carton de Monkey King: Hero Is Back rend possible pour ce projet d'obtenir des financements et même d'espérer des bénéfices, argument clé pour les producteurs, le coréen Studio Mir et les chinois B&T et Enlight Media.
Le film s’inspire de plusieurs éléments de la culture chinoise, entremêlant la pensée du philosophe Zhuangzi et les recueils de légendes traditionnelles Shanhaijing et Soushen ji qui dateraient du IVème siècle. Même si certains éléments du récit et des images renvoient inévitablement à l’imaginaire Ghibli (monde sous-marin, héroïne valeureuse en lutte contre sa communauté et univers folklorique foisonnant), le film trouve son identité par ce profond ancrage chinois.
L’univers dépeint un monde humain et sous-marin qui coexistent et se complètent dans un délicat équilibre. Les âmes des humains défunts se réincarnent en poissons destinés à errer dans les océans. Parallèlement, les être des mers adoptent la forme de dauphin rouge pour leur rituel de passage où, pendant sept jours, ils côtoient le monde des humains avec interdiction de leur parler. L’histoire dépeint ainsi la romance entre la jeune Chun et Kun, venant de deux mondes différents. Celle-ci repose à la fois sur le déséquilibre et l’harmonie qu’amène ce rapprochement. Chaque rencontre amène une grâce suspendue et contemplative où tout semble s’arrêter. Cette attirance irrépressible repose à la fois sur une dimension taoïste et un romantisme palpable. Ainsi les personnages ne s’aiment jamais en ayant la même forme. Kun est humain et séduit Chun qui a la forme d'un dauphin rouge. Puis Chun retrouve sa forme tandis que Kun est réincarné en poisson. L’amour endosse une facette poétique et féerique qui dépasse l’incarnation physique. Les scènes enchanteresses où Chun et Kun nagent, volent et dansent dans un environnement épuré, désert ou onirique oublient les contraintes physiques pour ne capturer que la communion spirituelle et amoureuse des personnages – portées par le très beau score de Kiyoshi Yoshida. Ce ying et yang qui semble les compléter dans les sentiments les opposent à l’inverse par les règles imposées par leurs monde respectifs.
Chaque renforcement de cet amour a ainsi son contrecoup sous forme de catastrophe naturelle dramatique par un maelstrom marin, une météo déréglée ou la grande apocalypse finale. Cette dualité existe également dans les interactions avec les personnages secondaires. Le film se déroule pour l’essentiel dans l’univers sous-marin mais propose une réflexion contrastée et sans manichéisme. Le rejet ordinaire de « l’autre » alterne avec le dépit amoureux dont le scénario observe la jalousie, la résignation et l’acceptation avec le beau personnage de Qiu. Les figures purement surnaturelles (le maître du royaume des morts rieur et marchandeur, le grand-père compréhensif marié à un oiseau ou la matrone des rats) symbolisent un tout qui reflète cette complexité de la vie. Ils incarnent un visage tour à tour bienveillant ou manipulateur, lumineux ou ténébreux. Les réalisateurs parviennent ainsi à exprimer toute la portée philosophique des sources littéraires adaptées. L’équilibre géographique et spirituel décrit par les nouvelles du recueil Shanhaijing est transmis par des compositions de plans somptueuses où se mêlent les éléments mythologiques (sculpture, nuance de couleur ou décor).
Les réalisateurs ont façonné un univers luxuriant où plane l’influence de Ghibli (les domestiques chats du royaume des morts…) mais dont le rattachement à cette identité chinoise rend singulier. L’arbre socle et rédempteur du final n’a ainsi pas la portée animiste de la conclusion de Princesse Mononoké auquel on aurait été tenté de le comparer. Et finalement, c’est aussi l’aspect chaste de Ghibli qui est bousculé dans Big Fish & Begonia. La nudité est source d’image mystérieuse, poétique et étonnamment sensuelle. Les réalisateurs reflètent par cela la plénitude amoureuse et spirituelle qui guide en permanence le récit jusqu’à l’émotion puissante du final, spectaculaire et intimiste.
Justin Kwedi
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